De Colchane à Uyuni : deux salars, tout à pied, et à vélo

Nous partons de Colchane vendredi 17 juin, Marie s’est bien reposée et après un passage ravitaillement, nos réserves de liquide chilien sont à sec, nous devons partir. La frontière n’est qu’à 2 km, nous y arrivons vite et c’est le choc : côté bolivien, il y a des déchets partout, du sable et un très fort vent qui se lève. Les formalités de passage sont trop longues à notre goût, surtout avec les insupportables bus de Boliviens qui essaient de doubler dans la queue. Petite vengeance de la douane bolivienne par rapport au Chili : apparemment ici on ne peut pas importer fruits et légumes (du Pérou, on fait passer ce qu’on veut), dommage, ils ont la flemme de fouiller nos sacoches et ignorent la carriole… Nous conservons nos provisions.

À Pisiga, ville poussiéreuse battue par les vents, nous essayons de trouver un transport pour nous emmener au bord du salar de Uyuni : les différents passages entre les salars de Coipasa et Uyuni sont réputés très sableux, et nous avons eu notre dose de sable. Nous n’y arrivons pas : le seul que nous trouvons est à tarif prohibitif (~230€ pour 3h de 4×4) et personne d’autre ne veut car demain il y a une grande feria ici. Vers 13h nous abandonnons et suivons notre plan B : nous partons pour Sabaya. Les 40 km sont vite parcourus : la route est bétonnée, et malgré les quelques montées, le fort vent de dos nous aide. Les 15 derniers kilomètres défilent à 40 km/h.

Arrivés à Sabaya, nous trouvons une chambre puis nous nous mettons en quête d’un transport : chou blanc, toujours à cause de cette fête à Pisiga. Marie craque, elle est encore fatiguée par son otite. Nous nous résolvons à rejoindre Uyuni par nos propres moyens et gonflons nos provisions faites à Colchane et Pisiga de 4 à 10 jours d’autonomie. Poulet grillé, frites maison et coca-cola dans un resto de rue plus tard, et le moral s’est amélioré.

Nous discutons tôt le lendemain matin avec un guide : pour lui, la meilleure route pour le salar d’Uyuni est de sortir du salar de Coipasa par l’ouest et de rejoindre Llica. La piste ici serait meilleure et moins sableuse, les autres options par le sud de Coipasa (autour du volcan Tunupa, ou bien par Salinas de Garcí Mendoza, ou Villa Victoria) sont beaucoup plus sableuses d’après lui.

Notre porte d’entrée du salar de Coipasa est par Villa Vitalina, à 30 km de piste, mauvaise selon les locaux. En fait la piste (ou plutôt le faisceau de pistes) est un vrai billard et nous arrivons à Villa Vitalina pour midi. Après un pique-nique sur une place d’armes déserte (et bordée de quelques maisons superbes, étrange contraste), nous filons vers le salar.

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La piste principale part vers le village de Coipasa, à l’est de l’île au milieu du salar. Comme nous voulons contourner l’île par l’ouest, nous quittons la piste. Nous commençons à nous embourber assez régulièrement, tous les 2 m, jusqu’à ne plus pouvoir avancer. La partie nord du salar de Coipasa est constituée de boue en croûte de sel, nos roues cassent délicatement la croûte fragile (de quelques millimètres seulement) et s’enfoncent dans la boue. Il est impossible de prévoir si la croûte va tenir, ni la couleur, ni les formes sur la couche ne nous renseignent sur l’état de la boue en dessous.
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Après avoir bien enduit les vélos de boue, nous regagnons rapidement la piste ! Arrivés au bord de l’île, nous prenons la piste vers l’ouest et gagnons la bande de terre au nord de l’île de Coipasa, où nous bivouaquons (toutes ces pistes principales sont visibles sur OpenStreetMap).

Le lendemain, dimanche 19 juin, nous passons par le poste de contrôle sur l’ancienne base de la mine d’exploitation du sel (et oui, il y a des militaires ici, le Chili est proche, et il y a aussi divers trafics, sur lesquels les autorités n’ont pas l’air très regardantes…) et vérifions la route. Llica est bien à 80 km, mais tout en salar d’après eux, nous sommes sceptiques. Nous suivrons quand même leurs indications, qui collent avec le trajet repéré sur la carte, et ce sera en fait 30 km de salar et 50 de piste.

Le salar est dur ici, même si la couche superficielle est légèrement humide et colle aux pneus. Il est extrêmement blanc, et comme il fait très froid dessus (le soleil ne le chauffe pas), environ 3°C, et avec la réverbération, nous le traversons habillés en ninja, sans bout de peau qui dépasse. C’est grisant de rouler sur cette immense étendue, avec les montagnes qui flottent dessus au loin. Avec le blanc, le froid et le bruit des pneus sur le sel, on se croirait presque aux sports d’hiver. Cette partie est vraiment très belle, avec le sel qui a séché en polygones.

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Les 30 km, entrecoupés d’un pique-nique, passent vite. Quelques kilomètres après la sortie, c’est le début du sable : le trajet jusque Llica est à peu près plat, mais très sableux. Nous avons droit à de grandes lignes droites, avec de grandes ornières en sable, où il nous faut parfois pousser à deux la carriole. Après même pas 10 km, nous nous arrêtons, il est 17h, nous amarrons la tente comme nous pouvons sur le sable pour résister au vent et nous endormons après des pâtes à la sauce tomate, renforcées au thon.

Le lendemain, c’est encore une journée passée à pousser dans le sable, il est cinq heures du soir, on a poussé tout le jour 🎶… La Bolivie n’a peut-être plus d’accès à la mer (énorme traumatisme ici) mais elle a des kilomètres de plage : les locaux les appellent pistes, mais nous, tout ce sable nous faut plutôt penser à des plages. La journée est longue, très longue, et très dure, pour seulement 25 km. Et les paysages ne sont même pas extraordinaires. Nous nous échouons sur un banc de sable à seulement 2 km de Challacollo. Comme la veille : amarrage comme nous pouvons sur le sable, et pâtes thon-tomate.

Mardi 21 juin, nous parvenons enfin à rejoindre Llica en début d’après-midi au prix de longues sessions de poussage. Un almuerzo, quelques courses, filtrage de 10L d’eau plus tard et nous sommes parés pour traverser le salar.

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On ne peut pas dire que les locaux connaissent bien leur région au delà de quelques kilomètres (que d’informations inexactes nous avons eues, heureusement que notre cartographie était bonne), et sur la fameuse piste pour Llica par laquelle « tout le monde passe », nous n’aurons rencontré personne : ni locaux, ni touristes… All by myself 🎶

Nous bivouaquons au bord du salar de Uyuni en ce jour du solstice d’hiver, et c’est la pleine lune qui nous régalera de son lever dans la porte de notre tente peu après le coucher du soleil.

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Le mercredi 22 juin, nous mettons le réveil avant le lever du soleil : nous avons 75 km à parcourir jusqu’à l’île Incahuasi au milieu du salar. Tant qu’à traverser le salar, nous allons en effet le faire dans sa plus grande longueur, et sur les jours les plus courts de l’année 😓. Il fait seulement -10°C au réveil, mais nous avons trop froid aux mains pour plier efficacement (et bon, plier des duvets, rouler des sacoches ou plier une tente avec de gros gants, c’est comme jouer du piano en moufles, ce n’est pas pratique), nous ne partons qu’à 9h30.

3 km de piste en tôle ondulée pour le plaisir et nous nous élançons sur la piste billard du salar. Avec le froid et un léger vent de face, nous roulons à 16 km/h. Le sel ici est moins blanc, pollué par du sable, légèrement jaunâtre (celui de Coipasa est beaucoup plus blanc), mais le salar est immense, et la rotondité de la Terre ne nous fait apparaître les différentes « îles » que petit à petit.

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Pause goûter au bout de 25 km, puis pause repas au bout de 50 km, sur la plage d’une petite île en face de celle del Pescado. Nous en profitons pour prendre quelques classiques photos en jouant avec la perspective.

Nous ne repartons qu’à 15h pour les 25 derniers kilomètres, en accélérant à 18 km/h. Sur les tous derniers, la piste est bien abîmée par la prolifération des 4×4, bien qu’il n’y en ait qu’une dizaine sagement alignés lorsque nous arrivons sur l’île Incahuasi.

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Nous n’aurons croisé qu’un couple de motards allemands sur notre trajet. Ce soir, nous dormirons dans une petite salle avec vue sur le salar en compagnie de José, cycliste espagnol venu de la ruta de las lagunas et carburant comme nous aux pâtes thon-tomates. Il nous faut quand même attendre que le couple ayant passé toute l’après-midi à se soûler ne vident les lieux (à coup d’alcool comestible à 96° dilué à l’eau chaude).

Au réveil, il fait 3°C dedans, Guillaume sort photographier le lever de soleil du haut de l’île, en compagnie des occupants de la dizaine de 4×4 arrivés juste avant. Nous partons à 9h, après exploration de l’île et de ses cactus par les enfants.

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Il fait -2°C malgré le soleil, Cassandre retourne vite dans la carriole, où elle restera finalement toute la journée. Cette fois-ci, nous faisons un arrêt tous les 15 km pour rompre la monotonie, tous nos paquets de gâteaux vont y passer ! Ce rythme efficace nous convient bien à tous.

Le salar est bien abîmé ici par le passage des nombreux 4×4 : les fragiles bordures des polygones de sel, au lieu de dépasser, sont creusées et élargies, et nous pédalons sur un dallage à la romaine… ça tape ! Puisque le Dakar a maintenant lieu ici, pourquoi pas le Paris-Roubaix ? Ceci dit, en discutant, nous sommes bien plus rapides que chacun concentré sur son vélo, et une fois les températures redevenues positives (incroyable ce que lutter contre le froid prend comme énergie l’air de rien) nous pédalons à 19-20 km/h (le petit vent de dos nous aide aussi). De temps en temps nous traversons des zones « minées » de trous dans le sel… idéal pour se réveiller quand il faut trouver en temps réel la trajectoire minimisant la probabilité d’y mettre une roue de la carriole, sans ralentir (heureusement, cette carriole est très solide 😇). Ces trous sont d’ailleurs l’occasion de se rendre compte de la faible épaisseur de sel par endroit, et de la profondeur de l’eau dessous.

Nous retrouvons José en milieu d’après-midi au bout de 60 km, près d’un ancien hôtel de sel reconverti en restaurant, et nous prenons les classiques photos près de la forêt de drapeaux et des sculptures en sel. C’est avec lui que nous parcourons les 15 derniers kilomètres jusque Colchani, un peu émus tout de même de laisser cet impressionnant désert de sel derrière nous. Un peu de piste pour rejoindre la grande route… pas pour le plaisir, mais parce que la route à côté est pire que la piste.

Nous sommes chargés à bloc pour rejoindre Uyuni à 20 km et engageons une course contre le soleil. Des travaux de construction de péage sur la route ? No desvio para los ciclistas, José comme nous avons eu notre compte de pistes, nous restons sur l’asphalte et traversons les chantiers sans encombre à cette heure tardive. Nos ombres s’étirent démesurément, mais c’est avec un soleil encore rond au dessus de l’horizon que nous franchissons le panneau Uyuni 🙌. Un peu plus de 6h de pédalage et 100 km, quelle journée. Nous trouvons facilement un hôtel, une churasqueria pour le dîner, une douche moyennement chaude et au lit !

(En fait nous ne sommes même pas si crevés que ça 😎)

P.S. : pas beaucoup de photos dans cet article, les téléphones ne sont pas complètement insensibles au froid répété comme l’est le reflex (qui, avec un changement de batterie par mois a assez de batteries chargées pour jusqu’à Santiago au moins 😇).

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