Nous repartons mercredi 8 juin de Sajama pour franchir la frontière, confiants… Hélas la piste de sortie du Sajama qu’on nous avait indiquée comme bonne est à peine meilleure que les autres du parc… au moins descend-elle globalement pour nous.
Arrivés au bout, nous avons une mauvaise surprise au poste de contrôle : l’entrée du parc a augmenté cette année de 40 à 100 bolivianos par personne, et évidemment il n’y a aucune indication du prix aux autres entrées du parc sans poste de contrôle. On discute avec le gardien et il ne nous fait payer qu’une seule entrée, ça soulage nos réserves de liquide même si c’est moche de marchander l’entrée (plutôt la sortie) d’un parc.
Nous retrouvons alors l’asphalte bien-aimé, pour rejoindre Tambo Quemado. La longue ligne droite est interminable, surtout que le vent se lève encore aujourd’hui tôt et fort et que le soleil est voilé. De part et d’autre des oiseaux, dont des flamands roses, font du patin à glace sur les lagunes gelées. Nous pique-niquons avant Tambo Quemado puis nous attaquons le deuxième marchandage de la journée : arriver à infléchir le pompiste de Tambo Quemado pour nous remplir notre bidoncito… à coup de vida o muerte et en payant le prix fort nous gagnons notre autonomie en carburant malgré les « es prohibido » (et encore, nous ne lui avons pas demandé de remplir notre réserve spéciale carburant de mauvaise qualité : une petite bouteille de coca pleine d’essence dans la carriole). Nous essayons également de compléter nos sacoches (après avoir dépouillé les tienda de Sajama), mais les tienda boliviennes sont décidément bien mal fournies.
Et la journée n’est pas finie : devant nous s’étirent 7 km de montée, avec un col à 4700 m, frontière avec le Chili. Petit rappel des conditions météo : ciel voilé et fort vent… de face. Il nous faudra plusieurs heures pour y arriver, en pestant et poussant les vélos. Cassandre finira dans la carriole, Guillaume finissant le col en pédalant (il n’est possible de déplacer la carriole avec deux enfants et le plein de provisions qu’en pédalant), heureusement que l’altitude ne nous dérange plus !
C’est frigorifiés et sur le tard que nous basculons au Chili, où nous avons instantanément le même sentiment : nous nous y sentons comme à la maison. 200 m plus bas, nous croisons un troupeau de suris, nom local du nandou, et de vigognes, puis nous dépassons la longue file de camions pour arriver au complexe frontalier (un nouveau est en construction au col, pour fin juillet).
Tampons de sortie de Bolivie, puis formalités chiliennes : immigration, contrôle des bagages par la SAG (ministère de l’agriculture) et enfin déclaration de nos vélos. Le personnel chilien est très sympathique, nous discutons beaucoup malgré la présence de nombreux cars, où tous les passagers passent en même temps. Concernant la nourriture, ils veulent surtout empêcher l’entrée de produits frais (à cause de la mouche du fruit notamment) et graines non sèches (ils contrôleront nos quinoas et pois cassés vus au scanner). Comme il fait déjà nuit nous leur demandons s’il est possible de dormir ici, il n’y a aucun problème. Après une si longue journée c’est même encore mieux : nos vélos couchent dans le garage des carabiniers, nous dormons dans une chambre chauffée des locaux de la SAG dont le personnel nous invite à manger avec eux, au coin d’un poêle. Nous passons une super soirée ! Et une très bonne nuit alors que le thermomètre descend à -19°C dehors.
Le lendemain, Guillaume part en mission ravitaillement : nous avons beau avoir changé nos dollars, ça pourrait être un peu juste, et il nous faut des produits frais et compléter ce que nous n’avons pas trouvé en Bolivie. À l’ouverture de la frontière, c’est en stop qu’il descend à Putre à 60 km de là, en camion puis camionnette. Ce fut une agréable rencontre avec un de ces nombreux camionneurs boliviens qui font des allers-retours jusqu’à la mer avec les containers.
Contre toute attente, il parvient à retirer une seule fois 100 000 $ (chiliens 😉) au capricieux DAB de Putre. Quelques courses plus tard et c’est chargé de sacs qu’il attrape un bus pour le retour. Pendant ce temps Marie, Cassandre et Hector ont profité du temps clément autour de la lagune pour observer les traces d’animaux (et membres d’animaux morts), et marcher sur la glace.
Tout s’est passé comme sur des roulettes et à 14h30 nous sommes prêts à partir, sacs étanches pleins de nourriture et poches à eau remplies à rabord formant des excroissances sur les vélos. Un dernier au revoir aux différents douaniers nous ayant si bien accueillis et nous filons sur l’A-95.
Enfin… filer… Nous poussons plutôt. Nous mettons 2 h pour parcourir dans le sable les 5 premiers kilomètres jusqu’à un col à 4700 m, puis 15 min pour les 5 suivants jusqu’aux thermes de Churiguaya. Elles sont bouillantes, nous en profitons le soir avant le repas, et le lendemain pendant le petit-déjeuner. Nous avons planté la tente dans un petit cirque qui nous protège du froid glacial de la nuit, alors que le ruisseau en amont de la source chaude est entièrement gelé au matin.
Après nous être bien réchauffés aux thermes, nous pédalons dans les collines du parc Las Vicunas, franchissons quelques gués gelés, tenons compagnie aux vigognes et observons le volcan Guallatiri qui fume.
Notre pause de midi, à côté d’une patte de suri, sera agrémentée du survol d’un condor. Nous rejoignons ensuite une piste plus large parcourue par les camions allant au salar de Surire.
Il y a pas mal de sable, nous poussons encore un peu. Nous posons la tente avant Guallatire, près de jolis rochers sortant çà et là de la pampa.
Réveil matinal samedi 11 juin par le ballet des camions. Nous prenons un deuxième petit déjeuner à l’hospedaje de Guallatire, village quasi désert au pied du volcan du (presque) même nom. C’est le seul commerce du village, nous dévalisons leurs 3 paquets de gâteaux et quémandons un peu de ce pain frit du petit-déjeuner. Les enfants jouent un peu sur des jeux rouillés tout en observant les fumerolles sur les pentes du volcan.
Nous repartons tardivement, mais la route est bonne. De l’eau et un peu de végétation apparaissent au creux d’une vallée, c’est agréable. Tout autour c’est le royaume du minéral : sables et roches grises, jaunes, blanches, rouges, dans lesquels nous replongeons rapidement.
À la pause de midi plusieurs voitures de carabiniers s’arrêtent, très impressionnants avec leurs gilets pare-balles et leurs fusils d’assaut. Certains nous proposent même de nous emmener jusqu’au salar (25 km), mais confiants suite au rythme de la matinée, nous refusons. C’est une erreur que nous regretterons toute l’après-midi tant la partie sableuse que nous venions de commencer nous ralentira. Malgré les encouragements des camionneurs, dont un nous donne une pomme bien appréciée, nous ne parcourons que 10 km avant de poser le camp, démoralisés, à côté d’une petite cabane.
Le lendemain matin, nous avons droit à un réveil pour nous apporter le petit-déjeuner au lit : à 7 h un pickup de l’exploitation du salar s’arrête et on nous dépose gâteaux et sandwichs… royal ! Nous pédalons ensuite sur une bonne piste et les 15 derniers kilomètres sont vite parcourus.
Devant nous s’étend maintenant le salar de Surire, avec ses zones sèches, exploitées, et ses zones humides, refuges de volatiles.
Nous pique-niquons en face du site de chargement des camions puis Marie et Cassandre vont chercher de l’eau aux baraquements… si nous ne venions pas de manger nous aurions pu déjeuner là-bas ! Elles avalent deux desserts supplémentaires puis reviennent chargées d’eau, de fruits et de gâteaux. Les Chiliens sont décidément d’une très grande générosité. Nous contournons le salar par le Sud.
La piste est bonne jusqu’au refuge Conaf. Le gardien n’y est pas, contrairement aux viscaches, peu farouches, au grand bonheur de Cassandre. Plutôt que d’attendre le gardien, nous décidons de continuer pendant encore 1h pour nous rapprocher des thermes de Polloquere, 20 km plus loin. Nous ne parcourons que 5 km sur de la calamina très sableuse avant de poser la tente au milieu des vigognes et d’aller voir les flamands roses en bord de lagune au coucher du soleil.
La nuit n’est pas froide et le repliage du camp beaucoup plus efficace ! Nous repartons sur 15 km de calamiteuse calamina. Marie et Cassandre arrivent assez souvent à trouver un passage, mais pour Guillaume et la carriole, trouver 3 passages séparés de 45 cm pour faire passer toutes les roues relève de la gageure. Il reste donc au choix : pousser à 3-4 km/h, ou quand la tôle ondulée ne dépasse pas quelques centimètres rejouer Le salaire de la peur. Nous arrivons aux thermes de Polloquere pour midi où nous rencontrons un couple de Suisses vivant en Australie, en Amérique du Sud depuis 2 ans et ici depuis 4 jours dans leur camion aménagé. Ils nous ravitaillent en pain brun allemand, miam (acheté en Uruguay… vous avez suivi ?) ! Après un pique-nique à l’abri du vent, nous allons tremper les jambes dans le bleu des thermes, qui tourne au gris car nous soulevons la vase bouillante.
Nous repartons à 14h et poussons dans le petit col qui nous amène en Bolivie pour quelques kilomètres… le hasard des limites géographiques ! Nous bivouaquons sur une lagune asséchée dont le blanc de la terre craquelée et les cailloux noirs donnent un aspect lunaire à la lumière de la lune et des étoiles.
Mardi 14 juin, nous rentrons dans le parc Volcan Isluga. C’est à nouveau désertique, mais nous sommes entourés de volcans, c’est très impressionnant. La piste est inégale, il faut encore parfois pousser. À quelques endroits nous passons sur de la poussière grise légèrement croûtée, mais qui s’envole instantanément comme de la farine, c’est étrange.
Un peu plus loin nous suivons des quebradas : cours d’eau encaissés où tout est vert (et jaune) et où pullulent des oiseaux.
Un éleveur de lamas et d’alpagas vient en bord de route pour discuter avec nous, il a l’air tellement heureux ici. Nous bivouaquons à côté d’un point de vue sur la vallée en contrebas, au milieu d’arbres rouge sang, on se croirait dans La guerre des mondes. La végétation luxuriante à cet endroit était un bon indice : nous passons une très bonne nuit chaude.
Nous travaillons l’équilibre dans la descente des hauteurs des quebradas sur les pistes sableuses : à 40 km/h quand ça glisse ou que ça tape, c’est à coup de bassin qu’il faut maintenir la trajectoire.
En bas, dans la vallée jaunie, il fait froid. La plupart des villages sont déserts, avec beaucoup de maisons en ruines. Avec les silhouettes imposantes des volcans nous entourant, cela fait un peu décor de fin du monde. La piste est très bonne dans la vallée et nous retrouvons rapidement la civilisation en traversant Enquelga et Isluga (que les villages perdus ici paraissent modernes avec leurs chauffe-eaux solaires et compagnie, comparés aux villages du Pérou et de la Bolivie).
Nous arrivons à Colchane mercredi 15 juin en début d’après-midi, cela faisait longtemps que nous n’avions pas parcouru aussi rapidement 35 km. Nous y posons nos sacoches 2 nuits, c’est tout ce que nos réserves de pesos nous permettent, mais Marie en a bien besoin pour se remettre d’une otite carabinée (après la policlinica péruvienne, nous avons la joie de tester le centro de salud chilien, avec son médecin de campagne débordé). À 2 km de la frontière, entouré de volcans et avec son vieux poste frontière (chouette, une possibilité d’urbex !) l’ambiance à Colchane n’est pas si étrange et les enfants profitent des jeux tout neufs installés sur la place principale.
C’est tellement de souvenirs qui reviennent quand on vous lit ! Chapeau d’avoir affronté cette si belle mais si difficile route avec des enfants ! On continue à vous suivre !
C’est de votre « faute » si nous avons justement pris l’A-95 sur cette partie, c’est dans vos récits qu’on avait découvert cet itinéraire 😉 Vu comment c’était beau : merci beaucoup !